Entrée #1.

J'ai beaucoup pensé. J'ai recraché ce whisky souvent avalé, j'ai tourné dix, cent, mile fois ma langue dans cette bouche aux recoins dérangés. J'ai pensé à ce que serait l'autre côté. Longtemps, j'ai eu des remords, des regrets. De n'être qu'un lâche, de n'être qu'un sale type, à se plaindre, à tourner en rond, la journée entière. Comme dans une cage de verre.
Longtemps, j'ai réfléchis. A mettre fin à ce merdier, d'une balle des revolvers que les non-magiques apprécient, à avaler une de nos propres potions, aussi efficaces qu'un cyanure bien dilué. Longtemps j'ai reculé au dernier moment, arguant avec mon propre reflet que ça ne servirait à rien. Qu'au fond, la douleur qui saignerait, là, dans le fond de mon palpitant arriverait à me poursuivre, qu'il existe un paradis comme certains le croient, qu'il existent un enfer comme d'autres y sont promis ou qu'à la fin, on ne termine tous dans les limbes, l'enveloppe bouffée par les charognards.

Depuis gamin, j'ai appris à survivre aux coups. A ceux du destin, vicieux envoyés, à ceux d'un paternel aussi. Dans la boutique crasseuse qu'il occupait avec Beurkes, son associé, la magie noire régnait en maîtresse. Tu aurais dû voir, mon amour, les étagères serrées les unes aux autres, à chaque recoin de ce foutu endroit, les bocaux où des yeux de dragon côtoyaient des ailes nettoyées et réduites en poudre, où les poisons se vendaient en petites fioles, dans un présentoir posé sur le comptoir. De tes yeux tu aurais pu le voir aussi, ces mains ensorcelées faites pour enserrer les voleurs, les appareils de tortures, eux aussi, entassés comme de vulgaires bouquins sur une étagère.

C'est dans ce climat que j'apprenais à devenir un sorcier. Persuadé par les idées qui se rappelaient à lui par la marque éteinte de son avant bras, père cognait, il cognait contre certains de ses clients, mauvais payeurs qui avaient le culot de se pointer ici pour quémander quelques articles à bas prix qui avaient la fâcheuse tendance de créer une accoutumance, il cognait sur Beurkes aussi parfois, quand celui-ci piochait dans le registre pour fréquenter les filles plus loin sur l'allée des embrumes. Si Borgin & Beurkes faisait l'angle, la jonction avec le coin plus fréquentable du Chemin de Traverse, un bordel camouflé se tenait à quelques enjambées de là et Beurkes avait tendance à y perdre la raison, confondant l'argent de la caisse avec son argent de poche.
Mais surtout, et tu le sais déjà puisque nous avons eu l'occasion d'en discuter à de longues reprises, tes mains entremêlés dans la chevelure dantesque, tes mains sur mon thorax nu, le palpitant jouant les rythmes endiablés d'un Mozart disparu, père cognait fort sur son jouet favori : moi.
Lorsqu'une mauvaise journée se déroulait sous mes yeux ébahis, je n'avais qu'une envie : celle de courir, m'enfuir loin, très loin car s'il me rattrapait - une fois sur deux - son poing avait l'itinéraire de mon visage, la route parfaite, sans embouteillage, sans encombre. Et là, son poing se fracassait, mes os déformés sous ses assauts. C'est peut-être de là que vient cette lâcheté qui m'empêche de faire le grand plongeon.

Les premières vacances d'été à la maison au retour de  Poudlard furent sans doute la pire chose à vivre de toute mon existence après ta perte. Dés mon arrivée sur le quai de la gare, Borgin père, habituellement discret était ivre mort. Il m'a choppé par les oreilles avec sa force de bagnard, m'a regardé dans les yeux, en tirant toujours plus fort sans doute pour faire sauter mon crâne et m'a craché au visage. « Serdaigle ? SER-DAI-GLE ? Petit minable, bon à crever comme sa salope de mère » a-t-il hurlé devant tous les autres, camarades comme parents ont tracé droit, sans que l'un ou l'autre n'ouvre la bouche, gênés, appeurés. Je ne peux pas en vouloir à ces gens dont ma rétine s'est imprimée. Je ne peux en vouloir à personne, rien qu'à lui, toujours à lui.
L'été a été à la hauteur de ce premier jour, les brimades, les insultes, l'interdiction de bouger de sa boutique, pendant que Borgin père et que Beurkes n'avaient pas de clients, ils s'occupaient de moi. Calotes, insultes, tâches ménagères. Un bon à rien. Une pancarte de quarante par quarante pendant à une chaine métallique autour du cou et que je devais exhiber à chaque fois qu'un foutu client mettait le pied dans le magasin, dessus, d'une écriture grossière : "Serpentard n'a pas voulu de moi".

#Entrée 2

Je me souviens du jour de notre rencontre. Je m'en souviens, je l'idéalise peut-être. J'en rêve si fort la nuit que j'espère ne plus jamais me réveiller, pour prolonger le moment encore un peu. Lorsque je suis tiré brutalement du sommeil par les merles chanteurs, par l'odeur du café qui s'expulse du petit réveil à odeurs que tu m'as offert et que je n'arrive pas à me résoudre à balancer par la fenêtre, les larmes guettent, viennent parfois, le sel dans les pupilles est une punition méritée.

Je me souviens de l'odeur, d'ailleurs. Un air de printemps. La pluie avait cessé, Londres se relevait d'un hiver froid et dramatique, ta petite robe à fleurs, dans ce parc, tes chaussures un peu hautes, remontées, farouches. Ton air fermé, la bouche tendue dans un sourire, les yeux clos, pour profiter des rayons d'un soleil devenu trop rare pendant quelques mois, dardant fièrement les terriens mortels de sa renaissance d'astre immortel.
Moi, gamin sans avenir fixe, perdu.

Tes paroles, si belles, si rassurantes. Celles qui se firent une place là-bas, près de mon cœur dru. Celles qui apportèrent à mon visage le plus sincère des sourires depuis le début de la saison des neiges.
Je me demande souvent, si je n'avais pu faire le premier pas, terrorisé, si tu serais encore en vie. Certainement que oui. Si tu n'avais pas croisé ma route, tu vivrais heureuse, belle, épanouie. Tout est de ma faute, tout. Et tu sais, c'est sans doute ça qui fait le plus mal, au fond.
Pas ta mort, tragique, pas le sourire de ce fou furieux, non, juste de savoir qui en est véritablement responsable. Je n'ai pas jeté le sort, je n'étais pas là, mais de cet acte transpire ma responsabilité. Et j'en saigne, jour après jour, minute après minute, à réfléchir à l'avenir que tu aurais pu avoir, aux enfants qui auraient pu graviter autour de ta si belle poitrine, aux valeurs que tu aurais pu transmettre à tes marmots. A combien ta vie aurait été belle sans moi.

Et ça, ça fait mal. Plus mal que le reste.

Entrée 3.

Déjà des années que t'es plus là, des années que ton petit corps sans vie, étalé là, de tout ton long, comme la belle aux bois dormants, comme une princesse oubliée a été retrouvé.
C'était une belle journée pourtant. La réunification avait enfin eu lieu, les sorciers comme les non-magiques vivaient en paix, plus ou moins précaire, mais en paix. Des rumeurs couraient au Ministère, Wheeler, le patron, mon patron, celui de la Justice Magique, avait signé des papiers de libération en grand nombre. J'ai cherché à savoir qui mais seul le Mangenmagot avait les noms, secret défense qu'ils m'ont répondu.

C'était une belle journée, celle où on s'éloignerait un peu de Londres, quelques jours, une semaine de vacances dans la belle ville de Paris, à manger de la baguette et du camembert, à visiter les démons d'Hugo et puis les nôtres, dans le fond d'un lit king size, à s'amuser, à vider nos corps de la sueur.
Ravi, transplanant dans le jardin avec un sourire béat jusqu'aux bout des lèvres, le pas leste, celui d'un clown menant sa danse.
Puis le désastre, celui du chaos pourtant si propre, ton petit corps, ta baguette là, à quelques centimètres, comme une protection superflue, qui n'a eu aucune utilité. Avec une petite pancarte et une chaine métallique, souvenir de l'enfance torturée. "La vie n'a pas voulu de moi" disait le petit mot. Papa. Wheeler.
A ce moment là, vivre synonyme de mort, à ce moment, la vie n'était plus qu'une longue descente vers les neuf cercles de Dante.
La suite, tu ne la connais que trop bien. La culpabilité, l'affreux sentiment que rien ne vaudra la peine d'être vécu.

L'engagement dans l'Alliance, déjà fréquentée, cercles bien connus. Plus en dedans, à n'offrir aucun répit, volant les dossiers au bureau des aurors, traquant les mages noirs avec passion, pour les faire tomber, les exterminer jusqu'au dernier.
Tu connais tout ça, je ne cesse de te l'écrire, te le répéter, à cette petite photographie qui ne quitte jamais la poche intérieure de mon veston.
Tu sais qu'aujourd'hui, je suis en fuite, le gouvernement de l'unification est tombé, ceux qui ont eu ta peau sont toujours là, dehors, plus forts que jamais.
Ils règnent sur Londres.

La liste est claire, précise : Anderson, Wheeler, Borgin Sr. Je jure d'en faire tomber le maximum.  
J'ai beaucoup pensé à mourir mais souvent, j'ai été lâche. Aujourd'hui, je suis heureux, heureux d'être en vie car tant que je le suis, ils ne connaîtront pas de repos, pas de dimanche, de jours féries, simplement la mort, prête à frapper à la porte.