the happiness

Il est près de vingt-deux heures et la salle commune est toujours aussi bondée. Rosalie, assise à la table, tient fermement une plume entre ses doigts fins. Elle n'arrête pas de raturer sa feuille et de recommencer quelques secondes plus tard. « Tu as bientôt fini ? Je ne t'ai jamais vu mettre autant de temps pour écrire une lettre à tes parents ! » Rosalie écrase le bout de parchemin entre ses deux mains et le lance sur le visage de Lydia. Sa meilleure amie, surprise, éclate de rire. « J'ai l'impression de leur écrire la même chose à chaque rentrée. J'ai envie d'être un peu originale cette fois-ci. » Lydia lève les yeux au ciel et pose son fessier sur la table, après un bref coup d'oeil vers le préfet qui semble bien trop occupé pour faire régner le calme et l'ordre dans la salle des Gryffondors. « Tu n'as qu'à leur dire que je t'ai retrouvée la bouche collée à ce cher Robyn alors que ça ne faisait que trois jours que tu étais en quatrième année. Ça va leur plaire ! » Elle explose d'un rire gras et Rosalie n'a d'autre choix que de l'accompagner. Ses parents sont modernes, mais pas à ce point, même s'ils s'étaient eux aussi rencontrés à Poudlard. Petite, Rosalie leurs demandait sans cesse de raconter leur rencontre romantique et elle les soupçonnait à présent d'en avoir pas mal rajouté pour rendre l'histoire un peu plus magique. Elle ne leur en tenait pas rigueur, elle ferait probablement pareil dans quelques années. « Bien, j'abandonne ! J'essayerai à nouveau demain. Allons nous coucher. » Son regard observe discrètement l'autre bout de la salle, où Robyn est en train de jouer aux échecs. Elle lui sourit et empreinte l'escalier qui mène aux dortoirs.



I'm feeling so small

Ses yeux fixent l'horloge magique, l'aiguille portant la tête de Robyn toujours au même endroit, entre deux lieux. Il a apparemment quitté le Ministère et est en chemin, mais cela fait plus d'une demi-heure que l'aiguille n'a pas bougée. Elle inspire profondément, elle n'est pas vite inquiète d'ordinaire, mais une sensation étrange la tiraille. Sa nuque est raide, un mal de tête qui ne la quitte plus depuis plusieurs heures. Oslo est positionné devant la porte d'entrée, pleurnichant en attendant son maître. C'en est trop. Elle décide de se servir un verre de vin et d'allumer le téléviseur. Le tire-bouchon encore entre les doigts, son téléphone portable se met à vibrer, numéro inconnu. « Allô ? » Sa voix est faible, tremblotante, elle a un mauvais pressentiment. Son interlocuteur parle, d'une voix douce, lui expliquant de venir à l'hôpital, accompagnée si possible. Robyn a été agressé. À ces mots, le verre s'échappe de ses mains et vient se briser sur le carrelage noir. Oslo se met à aboyer, alors que sa maîtresse est méconnaissable, la pâleur qu'a pris son visage fait froid dans le dos. Rosalie attrape son sac à main sans réfléchir et quitte l'appartement en direction de l'hôpital. Son coeur palpite à une vitesse folle alors qu'elle serre la barre du métro entre ses doigts moites. Les larmes coulent le long de ses joues pour venir s'écraser contre son chemisier d'un blanc immaculé. Les autres voyageurs la regarde d'un air interrogateur, mais personne ne lui adresse la parole.

Enfin le métro s'arrête. Les portes s'ouvrent dans un bruit si familier. Elle court. Aussi vite que possible, rejoignant les urgences. On la dirige rapidement vers la salle d'attente, lui promettant qu'un médecin viendra la voir aussi vite que possible. Le temps semble s'être rallongé. Elle a froid, n'a pas la force de prévenir qui que ce soit, elle veut juste être certaine qu'il va bien. L'esprit rempli de souvenirs heureux de leur vie à deux.

« Je crois que j'ai trouvé ! » Elle lui attrapa la main et le dirigea vers une minuscule cage où était allongé un petit chiot intégralement blanc. Il tourna sa tête vers eux et c'est avec le regard plein de tendresse qu'elle découvrit que son oreille droite possèdait une énorme tâche noire. « Il est parfait, non ? » Robyn ne pouvait détacher son regard de cette petite bestiole craquante. C'était son idée, adopter un chien alors qu'il venait d'emménager. Leur nouvel appartement semblait trop grand pour eux. Un chien, c'était leur rêve depuis longtemps. « Mieux que ça même ! » Rosalie passa ses doigts à travers le grillage et le chien vint les lui lécher, son sourire se répercuta immédiatement sur le visage de son mari. Une nouvelle raison d'être encore plus heureux.

Elle ne peut pas le perdre. Elle ne peut pas vivre sans lui. Ses yeux bouffis parviennent encore à pleurer. Une vieille dame lui tend un mouchoir, Rosalie la remercie d'un hochement de tête. Elle aperçoit un médecin, on le dirait tout droit sorti d'une série médicale à succès, il a le regard grave. En voyant sa mine, Rosalie espère que ce n'est pas à elle qu'il vient s'adresser. Elle fixe ses pieds, ils se rapprochent. « Madame Fawkes ? Suivez-moi s'il vous plaît. » Une once d'espoir. « Mon mari va bien ? Je peux le voir ? » Le docteur se tourne vers elle, sa main se pose sur son épaule et l'angoisse monte en Rosalie. « Je suis désolée, nous avons fait, tout ce que nous pouvions, malheureusement les blessures de votre mari étaient trop importantes. » Elle perd l'équilibre, ses jambes ne semblent plus être capables de la soutenir. Elle s'effondre, son corps heurtant le sol glacé, des infirmières se précipitent pour l'aider. Elle les repousse, sanglotante, gémissante. Elle n'arrive plus à respirer.



Say you remember me

Le soleil se couchait. Une main posée sur la sienne, il lui embrassa le cou avec une tendresse indescriptible. Demain. Demain sera leur dernier jour à Poudlard, pourtant, elle aurait aimé que jamais cela ne s'arrête. Elle se sentait tellement bien ici. Le feu crépitait dans la salle commune bondée. Les Gryffondors riaient pour la plupart, d'autres pleuraient s'échangeant des numéros ou des adresses. Rosalie ne s'inquiétait pas, elle était certaine de rester en contact avec chacun de ses précieux amis et surtout avec lui. Robyn. Un jour, ils seraient mariés. Un jour, ils auraient des enfants et une maison immense. Elle imaginait leur avenir comme un conte de fées.

Elle rapprocha sa main contre ses lèvres. Robyn semblait terriblement stressé depuis plusieurs jours et leurs amis ne cessaient de murmurer à leur arrivée. Rosalie se demandait s'il n'allait pas faire sa demande. Ils étaient jeunes, ils avaient le temps, mais pourquoi attendre ? Elle leva ses yeux noisettes sur lui, tellement heureuse à ce moment précis. Tout lui semblait possible.

Ses yeux s'ouvrent, éblouis par le rayon de soleil qui a réussi à se frayer un chemin malgré les rideaux tirés. Le réveil. Le seul moment où, pendant un quart de seconde, elle a tout oublié. Puis, tout lui revient. La mort de Robyn, le minuscule studio où elle vit et ces amis qu'elle a perdu. Oslo est blotti à ses pieds. Le Jack Russell s'approche doucement en la voyant réveillée, il réclame des caresses, comme chaque matin. Ses yeux se posent sur son coussin et une douleur naît dans sa poitrine. Elle se lève, enfile le premier pantalon qu'elle trouve pour aller promener Oslo. Elle regrette leur ancien quartier, calme et bien fréquenté, mais elle n'aurait de toute façon pas pu continuer à y vivre. Trop de souvenirs la hantaient là-bas. Son téléphone sonne. Sa mère tente de l'appeler, comme chaque matin, elle ne décroche pas. Elle n'arrive pas à faire semblant. Elle n'en peut plus d'entendre ses « un jour, ça ira mieux. », parce qu'au fond, elle n'en sait rien. Elle ne peut même pas imaginer un jour oser être heureuse. Comment pourrait-elle ? Sans lui, tout est morne et vide de sens. Oslo se met à aboyer sur un voisin, elle décide de rentrer.

Il est tard. A ce rythme, elle va arriver en retard. Elle envoie rapidement un message à sa mère pour donner l'illusion « Je te rappelle plus tard. », aucun émoticône, ça fait cinq mois que ses messages sont aussi froids que son coeur.  Elle avait l'habitude d'être toujours souriante, pleine de joie de vivre et positive en toute circonstance. Cette fille là a disparu depuis longtemps. Elle ne se reconnait plus. Seules la rage et la rancoeur la font avancer. Le peu d'amour qu'il lui reste à donner va à son chien. Fidèle et imperturbable, il a lui aussi connu de longues semaines de deuil, mais s'en est finalement assez bien remis. Elle l'envie.

Un sourire naît sur ses lèvres alors qu'elle lui délivre sa ration de croquettes journalière. « Je vais rentrer tard, mais Marga viendra te voir. » Une dernière caresse. Quelques friandises lâchées dans la pièce et Rosalie ferme la porte à double tour. Marga est sa voisine de palier. Une jeune espagnole qui garde des enfants. Rosalie a vite compris qu'elle avait du mal à joindre les deux bouts et avait proposé de la rémunérer en échange de visites et de balades à Oslo. Les enfants se faisaient toujours une joie de pouvoir jouer avec le petit chien et Rosalie partait au travail rassurée. Oslo est tout ce qu'il lui reste, la part de Robyn qui vit encore avec elle.



Wildest dreams

L'après-midi touche à sa fin dans les rues de Londres. Rosalie salue sa collègue d'un dernier signe de la main, Ksenia, une non-magique, son sourire s'efface dès qu'elle a le dos tourné. Elle allume une cigarette, profitant de cette bouffée comme si c'était son seul échappatoire. Elle coince sa baguette dans sa ceinture et se dirige vers le chemin de traverse. Une bièraubeurre a le don de l'apaiser après une dure journée. Elle sont toutes devenues dures depuis qu'elle a laissé sa passion de côté. Elle était en passe de devenir une artiste célèbre. Un magazine prestigieux avait même programmé son interview, mais tout avait éclaté en morceaux. Être milicienne n'a pas de quoi la rendre fière, mais au moins elle peut manger à sa faim, ce qu'être artiste ne lui permettait pas.

Le Chaudron Baveur est tristement vide depuis les nouvelles règles mises en place, mais cela  convient assez bien à Rosalie. Elle s'assoit à sa place habituelle, pose son chapeau sur la chaise d'en face et ne tarde pas à commander.

« Tu verras dans dix ans, on s'assiéra toujours à la même place et on se remémora de vieux souvenirs comme un vieux couple !  » Il riait tellement fort qu'un groupe d'amis s'étaient retournés et les avaient toisés du regard. En admiration devant lui et sa beauté, Rosalie en rêvait de ce moment. Elle les imaginait déjà, lui avec une énorme barbe et elle, un bébé dans les bras.

Une gorgée de ce somptueux breuvage et tout semble plus doux. Son index tourne les pages à distance du journal, elle ne prend même pas la peine de le lire. Elle le feuillette juste pour voir si quelque chose la concerne. Un bref coup d'œil à l'horloge et elle s'empresse de terminer son verre. Son travail pour la milice nationale est terminé, mais elle a encore plusieurs choses à faire. Depuis plusieurs semaines maintenant, elle fait partie des hermessengers, un groupe secret s'inspirant des vaguemestres durant la guerre. Leur but est de délivrer des messages dans le plus grand des secrets contre une bonne somme d'argent. Dès que Rosalie a pris connaissance de son existence, grâce à Yasen, elle a foncé tête baissée. L'argent étant son souci principal, elle n'a aucun problème à braver certains interdits, surtout que son poste de milicienne lui permet d'avoir quelques laissez-passer. Sa seule condition est de ne servir que les sorciers, une petite vengeance qu'elle mène contre les non-magiques depuis l'agression brutale et mortelle de son mari. Elle pose son chapeau de sorcière et sort du pub avec le peu d'assurance qu'il lui reste.