« Bonne nuit petit ange. » avait-il avant d'éteindre la lumière de la chambre de Sybil. Il avait affiché un sourire réconfortant, rassurant, typique. Il avait été patient, attentionné, amusant. Il avait été le père de substitution parfait. Comme toujours. Une fois la porte fermée derrière lui, il était de nouveau paré de son masque d'inquiétude. Son sourire s'était évanoui. La lumière au fond de ses prunelles s'était éteinte. Ses pensées et remords avaient pris la place de cette princesse, héroïne d'une livre qu'il venait de lire. Ses pas se faisaient plus rapides. Ses gestes semblaient plus énergiques. On avait le sentiment qu'il était électrisé. Sans doute les remords. Les remords ont le don de vous ronger, de l'intérieur. Petit à petit, il vous dévore. Petit à petit, ils prennent place sur toute autre émotion. Et lentement, il ne vous reste plus qu'eux : les remords. Il n'avait aujourd'hui pas échangé plus que quelques mots avec Leonor. Il avait de plus en plus de mal à supporter son regard et sa douceur. Cette douceur, il ne la méritait pas. Il avait l'impression d'être un imposteur. Elle voyait en lui un homme bon … il en était qu'une parodie. Il renifla à cette pensée avant de se faire de l'eau chaude pour un thé. Tradition du soir depuis des années. Il se brûla avec l'eau chaude, poussa un juron énervé avant de laisser tomber la bouilloire dans l'évier. Un juron ? Rob n'était pas de cette espèce. Il n'avait pas été appris de la sorte et les jurons étaient toujours d'une rareté à noter. Cela n'échappait à Leonor, spectatrice du spectacle. Il s'arrêta quelques secondes, posa à plat les mains sur le rebord de l'évier. Il prit une profonde inspiration avant d'ouvrir le placard pour en sortir un sachet de thé. Nouvelle inspiration. Il s'empara de son thé et du journal pour aller se poser dans le fauteuil de leur salon.

Il fulminait. On pouvait en un clin d’œil se rendre compte que quelque chose clochait. Ce n'était pas le Robin Dawkins qu'on connaissait, qu'elle avait connu et connaissait. Cet homme était différent. Il ne tenait pas en place. Il se battait contre ses propres pensées et les gros titres du journal n'étaient qu'un nouveau coup de poignard dans les entrailles. Toutes ces nouvelles puaient la propagande. Le mensonge. Mensonge qu'il supportait, qu'il soutenait, quoiqu'il en dise. Il jeta le dit-journal sur la table basse en marmonnant quelque chose d'inaudible. Il ferma alors les paupières, laissa sa tête tomber sur le rebord du fauteuil de telle manière que ses yeux étaient rivés vers le plafond. Dans cette position, il sentait les muscles de sa nuque se détendre. Mais la valse de ses pensées ne s'arrêtaient pas … et cette valse à mille temps s'accéléra quand il entendit la voix de Leonor brisait le silence.  « Qu'est-ce qu'il se passe, Rob ? Je vois bien qu'il y a quelque chose... Tu sais que je suis là, que je serais toujours là, que nous formons une équipe toi et moi. » Il ouvrit les yeux pour poser son regard sur ce petit bout de femme. « Je pense que c'est le bon moment pour me dire ce qui te taraude de la sorte … Je vois bien que quelque chose cloche. » Ils formaient une équipe. C'est vrai qu'il avait toujours eu ce sentiment avec elle. Cela avait commencé au laboratoire, sous des tas de dossiers de recherche et puis cette sensation qu'une alchimie les unissait se développa jusqu'à dans leur vie privée. Ils se comprenaient en un regard. Elle était son pilier. Elle avait été son alliée depuis le début et il espérait lui rendre la pareille jusqu'à la fin de ses jours … mais il y avait ce pendent de sa vie qu'il ne lui avait pas confié, qu'il ne pouvait pas lui révéler. Que penserait-elle ? N'avait-elle pas été suffisamment déçue ? Il ne pouvait pas la décevoir. Il ne pouvait pas la mêler à cela … Non.

Il fallait trouver une issue de secours. « Désolé Leonor. J'ai toujours veillé à ne pas ramener le stress à la maison … Le stress, les soucis du boulot. » dit-il en essayant de calmer les battements de son palpitant. « Un peu trop de pression. Beaucoup trop de responsabilités. Je me demande si ce n'est pas fou d'être à ce poste, d'avoir ces responsabilités … si ça n'aurait pas été mieux de se tenir beaucoup plus éloigné ... » Son regard se baissa et il fut pris d'une nouvelle vague d'émotions. Oui, il se faisait du souci. Il était bien loin de la vie de scientifique qu'il s'était imaginé. Lui qui avait veillé à ce que rien ne soit utilisé à mauvais escient était en plein cœur du chaos. Il était en partie le Chaos. Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'il relevait la tête vers sa fiancée. Cherchant la force qu'il avait perdue dans son regard, il murmura un beaucoup trop honnête : « J'ai peur que tout ça finisse pas me dépasser et à m'échapper des mains, Leonor. » Elle savait que cela avait toujours été sa plus grande angoisse. Mettre en péril à cause d'une découverte. Mettre en danger avec comme excuse l'avancée scientifique. Il avait peur que tout cela finisse par le dépasser ? Oh mais Rob … tu étais d'ores et déjà dépassé. Tu avais déjà fait le pas de trop … justement pour ses yeux dans lesquels tu étais à l'instant même en train de te noyer. C'est du moins ce que je lui dirais au creux de l'oreille en tant que narratrice ...
 

Elle s'installa à ses côtés pour saisir ses mains et si ce contact avait eu parfois des effets miracles, ces derniers s'étaient essoufflés au cours des dernières semaines. Il n'était plus l'homme qu'elle avait aimé. Il n'était plus l'homme qu'il lui avait juré d'être. Il n'était plus Rob Dawkins, il était le pantin d'un gouvernement vicié qui souhaitait créer l'Enfer sur Terre. Elles allaient bien. C'est le principal. Ses propos vinrent trouver une place bien au chaud, au sein de son palpitant. Oui, elle avait raison. C'était d'ailleurs pour cela qu'il s'était battu, qu'il avait commis l'irréparable. Par amour. Pour elles, pour qu'elles soient en sécurité. C'était tout ce qu'il souhaitait. A cette pensée, il caressa le dos de sa main avec son pouce avec tendresse, comme s'il essayait de s'accrocher à cette même pensée. « Je veux simplement vous savoir en sécurité, Leonor. » Il leva les yeux pour la regarder, elle. Les traits fins de son visage, le sourire rassurant sur ses lèvres, son regard chaleureux, elle avait tout pour le faire se sentir mieux. Et pourtant … il y avait ce poids qu'il traînait derrière lui. Si seulement elle savait. Elle ne devait jamais savoir. Personne ne devait savoir. Elle ne le regarderait plus ainsi si jamais elle le savait. Impossible. « Les gens deviennent fous, Leonor. Véritablement fous. Et quand ce sont les fous qui tirent les ficelles ...» Il secoua la tête en prononçant ces paroles, comme s'il était encore choqué de ce qu'il avait pu vivre ou entendre. « Nous allons devoir être encore plus prudents. » finit-il par souffler.

Elle savait en travaillant dans les laboratoires que les regards étaient un peu trop rivés sur eux. Ils étaient au cœur du Monstre. Chaque découverte était un élément supplémentaire pour faire chavirer le navire. La pression, les regards, l'angoisse de faire un mauvais pas. Avec son poste, avec son altercation avec Mila, il était lui-aussi sous les regards des plus Grands. Ils devaient faire profil bas. Il ne voulait leur faire prendre aucun risque. Il avait déjà suffisamment de sang sur les mains pour que tout s'écroule en un rien de temps. Alors sans doute essayait-il de lui faire comprendre qu'il était inquiet de voir Vasyl pointer le bout de son nez dans leur vie. Alors sans doute essayait-il de lui faire comprendre avec tendresse et maladresse qu'il craignait pour elle, pour elles, pour eux. « Il n'y a plus 'que le boulot'. C'est devenu un Tout. » L'angoisse et la pression du boulot étaient liés à leur vie. L'angoisse les suivait partout. Il laissa tomber la tête en arrière sur le dossier du canapé et ferma les yeux quelques secondes qui lui parurent être des heures. Il rouvrit les yeux, gardant la tête appuyée contre le dossier du fauteuil pour attirer la jeune femme contre lui, un tendre sourire aux lèvres. Il enroula son bras autour de ses épaules pour qu'elle puisse venir se lover, se blottir contre lui. « Je suis désolé. De t'embêter avec ces états d'âme, ça doit être la fatigue. Vous êtes ce que j'ai de plus cher et je veux juste vous savoir en sécurité.» Il la serra davantage contre lui, déposant un baiser dans ses cheveux.