Une brise d'un vent frais vint caresser le visage de Delilah, faisant onduler ses cheveux autour de son visage. Le vent s'engouffrait dans la travée qu'offrait la Tamise pour venir frigorifier les quelques badauds qui marchaient le long de la rive. Londres était méconnaissable. D'aussi loin qu'elle se souvienne, Delilah avait toujours connu sa ville assaillie par les touristes, et ce quelle que soit la période de l'année. Or, depuis la réunification et la fermeture des frontières, il n'était plus question d'accueillir quelque étranger que ce soit car l'Angleterre était bel et bien le seul pays sur la planète qui avait dévoilé le secret magique : les autres - qui se trompaient lourdement si vous demandiez à la jolie brune - n'avaient aucunement l'intention de mettre au parfum leur population moldue.
C'est donc grâce à (à cause de?) ces frontières fermées aussi solidement qu'un tupperware de grand-maman que Delilah était arrivée aussi rapidement devant l'hôtel de ville de Londres. Celui-ci qui arborait son look moderne et scintillant, criant au monde entier ce qu'il savait déjà : que cette ville n'était pas qu'un vestige des temps anciens, mais également pionnière dans de nombreux domaines (dont l'architecture moldue, oui oui) et résolument révolutionnaire. Encore l'une des nombreuses choses qu'ils devaient aux moldus : la modernité, la technologie... si les sorciers étaient majoritaires, pour sûr qu'ils seraient restés au Moyen-Âge avec la magie qui les conservait dans cet illusion de confort et qui les empêchait d'utiliser leurs cerveaux pout relever des défis et s'adapter au monde extérieur. Delilah eu une petite moue de dédain, puis avança jusqu'au portes automatiques du grand bâtiment. Elle prit par la suite la direction des sous-sols pour rejoindre le quartier général des Héritiers de Salem.
Peu connaissaient la localisation exacte de ceux-ci, et la jeune sorcière pouvait se targuer de faire partie du lot. Malgré les réticences de certains et la méfiance de beaucoup - ce qu'elle comprenait tout à fait, après tout elle était une sorcière, et donc par nature leur ennemie - elle avait réussi à prouver sa loyauté et sa valeur auprès de suffisamment de personnes pour faire partie de ceux qu'elle considérait comme son camp et ses alliés : les puristes anti-magie.
La personne qu'elle allait retrouver était d'ailleurs celle à qui elle avait prouvé sa valeur maintes et maintes fois à travers diverses missions et demandes en tous genres. Et la raison pour laquelle elle allait la voir était justement que cela faisait un bon moment qu'elle ne lui avait rien confié : aucune mission, aucune demande. Rien. Et cela l'inquiétait, Delilah. Ce silence radio était-il signe qu'on lui faisait moins confiance ? Que pouvait-elle bien avoir fait pour ceci ? Cela faisait des jours et des jours que Delilah retournait la question dans son cerveau, se torturant l'esprit en rejouant ses actions sur les semaines passées pour essayer de deviner si oui ou non elle avait pu avoir un comportement répréhensible. Mais ne trouvant rien, et commençant à sérieusement s'inquiéter, Delilah avait décidé de prendre les choses en main et d'aller voir d'elle-même.
Ainsi, après de longues minutes de marche et d'attente dans plusieurs ascenseurs successifs, la sorcière se retrouva devant le bureau de Mila Anderson. Elle toqua, et attendit qu'on lui réponde.

Delilah n'était pas sûre d'avoir bien compris la voix étouffée qui lui était parvenue à travers l'épaisse porte en bois massif. Et pourtant, elle était quasiment sûre d'avoir entendu ces deux mots : « Entrez Peter ». Peter ? La brune fronça les sourcils et jeta un œil autour d’elle, bien qu'elle sache pertinemment qu'elle était seule dans le long corridor aux teintes pourpres. Il était bel et bien vide, ce qui renforçait l'ambiance pesante et presque triste qui régnait dans les locaux. Il n'y a pas si longtemps, avant le changement de gouvernement, l'endroit grouillait de monde ; et il fallait avouer que ce sentiment d'abeille va-t-en-guerre œuvrant pour le bien de sa ruche qu'elle ressentait en ce temps là, manquait à Delilah. Désormais la petite abeille était sortie et elle s'escrimait à coloniser et essaimer le monde. Mais de retour au bercail, aucune autre apis ne semblait être là, encore moins une qui portât le nom de ''Peter''.
Elle décida donc d'ouvrir la porte, puisque cet injonction d'entrer ne pouvait s'adresser qu'à elle. Mila Anderson était assise derrière son bureau, ses chaussures trônant à quelques mètres d'elle, près du mur. Delilah n'était certes pas une personne à cheval sur les conventions, mais on les lui avait tellement rabâché depuis qu'elle était petite qu'elle ne pouvait s'empêcher d'être amusée de voir à quel point sa supérieure en faisait fi. C'était une chose à laquelle elle s'était habituée. Après tout, elle la connaissait depuis si longtemps maintenant – presque dix ans! Que le temps passait vite... D'autant plus que les particularités fantasques de la grande blonde avait toujours eu comme effet chez Delilah une attraction magnétique ; si ce n'était même une certaine admiration. Ainsi qu'une volonté de plaire.
La Dirigeante des puristes moldus ne sembla pas tout de suite se rendre compte que la brune qui venait d'entrer n'était point le fameux Peter, parlant de milkshake à la fraise. Delilah se retint de sourire, et allait lui répondre lorsque la blonde remarqua sa confusion.
« Bonjour Mrs Anderson. Pas de soucis. »
Répondit-elle d'abord en entrant un peu plus dans la pièce. ''Mrs Anderson'', c'était comme cela qu'elle l'avait toujours appelée. Ou ''boss'', mais ce titre marquant sa déférence, elle le gardait plutôt lorsqu'elle était effectivement en mission – ou qu'elle en revenait. Ce qui n'était pas le cas aujourd'hui. Elle referma la porte derrière et s'avança de quelques pas, se tenant droite sans être raide ; en un langage corporel respectueux et officiel sans être militaire.
« Je sais que vous êtes très occupée, donc je vais être directe : je voulais vous dire que j'étais prête pour une mission. J'ai bien pris en main mes nouvelles responsabilités, et donc il m'est désormais tout à fait possible d'endosser un rôle disons... annexe, en parallèle. »
Langue de bois. Ou semi langue de bois dirons nous. Car voyez-vous, elle avait eu beaucoup de temps pour réfléchir, et elle avait donc tourné et retourné dans sa tête ce qu'elle pourrait dire à sa supérieure. Car il était hors de question qu'elle débarque pour aller chouiner et avouer qu'elle avait peur de ne plus être indispensable à la cause. Hors. De. Question.

Les lèvres de Delilah se retroussèrent en un sourire en coin.
« Malheureusement non, désolée. »
Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas entendu parler de milkshakes. Tout d'abord parce que c'était une invention 100% moldue ; et cela faisait désormais de nombreux mois qu'elle se retrouvait coincée - pour la plupart du temps - du côté sorcier. Certes sa situation en tant que cheffe du secteur central voulait dire qu'elle pouvait toujours profiter des zones où les deux communautés restaient mélangées, mais même à ces endroits, la ségrégation était en place : elle n'allait que dans les magasins sorciers, les bâtiments sorciers, les rues sorcières... Pas qu'elle ne pourrait pas profiter de sa position hiérarchique pour s'allouer le droit de faire ce qu'elle voulait - concrètement, elle le pourrait tout à fait - mais Delilah était du genre à respecter les règles voyez-vous, surtout celles en lesquelles elle croyait dur comme fer. Car elle croyait dur comme fer à la nécessité de séparer les deux communautés. Les moldus s'en trouvaient bien mieux sans eux. Donc, elle respectait les règles ; et ce n'étaient pas dans des magasins et échoppes où l'on vendait de la bièraubeurre, du jus de citrouille, et autres fizwizbiz qu'elle aurait pu trouver un milkshake... Mais pour tout dire, même si elle avait pu, pas sûr que cela aurait changé quoi que ce soit, car la deuxième raison pour laquelle Delilah n'avait pas entendu parler de milkshakes depuis longtemps était que cela faisait tout aussi longtemps qu'elle ne s'était pas laissée se détendre et penser à autre chose qu'au travail, où aux expérimentations. D'un point de vue extérieur, il était facile de qualifier la brune de workaholic, mais la vérité était qu'elle ne sentirait pas en paix tant qu'elle n'arriverait pas à atteindre ses principaux objectifs. Tant qu'elle ne les atteindrait pas, elle n'arriverait pas à se détendre, et à passer du bon temps sans se sentir frustrée, agitée, voire coupable. Car comment pourrait-elle profter d'une vie qui n'était pas vraiment la sienne ? Non, dès qu'elle aurait la possibilité qu'on lui enlève ses satanés pouvoirs, alors là, oui, elle pourrait enfin se permettre de souffler un peu.
« Ta baguette, là, abracadra et j’ai un milkshake, non ? » Quand on parlait du loup, celui-ci était évoqué, apparemment. Et bien que Delilah sache pertinamment que c'était une blague de sa supérieure, elle ne put s'empêcher de grincer des dents. Car utiliser ses pouvoirs la répugnait, et elle devait vraiment se trouver dans une situation où la nécessité imposait qu'elle le fasse.
« Ce n'est pas possible de faire apparaître quelque chose de nulle part. La maxime de Lavoisier s'applique même à la magie vous savez. »
Et oui, rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. Cet état de fait sur la conservation des masses lors du changement d'état de la matière s'appliquait également aux sorciers. Encore heureux dans un sens, car s'il était possible de faire ce que l'on voulait rien qu'avec un bout de bois contenant des morceaux de trucs enchantés ; alors la société aurait été véritablement condamnée.
Delilah se raidit, tendant la nuque lorsque Mrs Anderson lui asséna qu'elle avait bien des missions à lui proposer, mais qu'elle n'était pas sûre qu'elle aurait le cran. Ce fut donc un cri du coeur lorsqu'elle lui répondit :
« Bien sûr que je l'ai. »
Elle hésitait à ajouter un « Ne vous l'ai-je pas prouvé à de nombreuses occasions ? » mais cela aurait pu s'apparenter à de la provocation, et même si ce n'était qu'une réaction sincère provenant de la volonté de revendiquer sa loyauté, Delilah savait qu'il n'était jamais bon d'utiliser ce ton avec des supérieurs. Surtout avec la Boss, qui, il fallait le dire, pouvait avoir des réactions à tendance despotiques, comme le démontrait l'exemple du fameux "plan Marshall".
« Mais vous ne pourrez en être sûre qu'en me testant, justement. »