« Delilah ma chérie, c'est l'heure, il faut y aller ! »Une petite fille se regardait dans un miroir à pieds dont le cadre en bois blanc faisait ressortir ses cheveux aussi noirs que l'ébène. Un sourire illuminait son visage. Elle recadra son serre-tête afin que le nœud du tissu rouge – qui était du même ton que sa robe – se retrouve sur le côté. Elle remonta ses soquettes blanches, puis cria :
« J'arrive maman ! »Elle couru hors de sa chambre, et dévala les vieux escaliers de bois pour retrouver ses parents dans l'entrée. Son père l'attendait déjà, souliers à la main, pour l'aider à se chausser, tandis que sa mère portait sous le bras une boite emballée dans un joli papier cadeau. La petite fille s'assit par terre. Son père, un homme au visage sévère et à la moustache grisonnante, se baissa pour l'aider à enfiler et lacer ses souliers.
« Et n'oublie pas de bien serrer les oreilles de lapin. »« Papa, je suis une grande maintenant, je sais faire. »Lui reprocha la petite Delilah, concentrée sur le deuxième lacet tandis que son père avait déjà terminé le premier depuis de longues secondes. L'homme s'esclaffa d'un rire chaleureux. Malgré son apparence sévère avec son crâne rasé, sa forte moustache et ses yeux d'un marron presque noir ; il était la plupart du temps le plus gâteux des papas. Bien sûr, il se fâchait parfois, et avec la plupart des étrangers il gardait toujours une distance qui pouvait sembler froide (mais qui s'avérait au final être plutôt de la timidité). Il aimait cependant sa fille plus que tout, et même lorsqu'il était exigeant, ce n'était que pour son bien.
« Très bien Madame, je vous laisse faire. »La mère de Delilah couvait la scène d'un regard affectueux. Dès que l'enfant eu terminé de lacer ses chaussures, elle se releva, et sa mère plaça un baiser sur sa tête. Avec son léger embonpoint et ses rides rieuses au coin des yeux, Mme Fox représentait l'image même de la bonhomie. Et pourtant il ne fallait pas s'y tromper : vous aviez devant les yeux une femme à l'ambition féroce.
« Allez c'est parti. » lança t-elle avec entrain.
Et la petit famille s'ébranla. Ils mirent manteaux et écharpes, et sortirent de leur vieille maison dans le froid londonnien. Leur quartier était autrefois un quartier populaire, mais aux familles pauvres et aux étudiants fauchés s'étaient succédé des artistes en vogue. Désormais de plus en plus d'immeubles étaient rachetés pour pouvoir être abattus, puis reconstruits, dans le but par la suite de vendre de nouveaux appartements de standing à des prix exorbitants. Aujourd'hui se déroulait à quelques rues la fête d'anniversaire de la meilleure copine de Delilah, dont la famille allait déménager quelques mois plus tard.
Les Fox marchèrent pendant quelques minutes en direction de la maison des Smiths, papotant gaiement et innocemment de sujets sans importance. Ce qu'ils ne savaient pas à ce moment là, c'était qu'il étaient en train de vivre leur dernier moment de réelle insouciance.
Dès qu'elle fut arrivée chez son amie, Delilah couru dans la chambre de celle-ci, et elles ne redescendirent que quand les autres invités arrivèrent, bien après que M. et Mme Fox soient repartis. Les jeux enfantins s'enchaînèrent dans la joie et la bonne humeur, et ce fut au moment du goûter que tout se gâta. L'un des petits garçons invités, Dylan, dont Delilah était folle amoureuse, se moqua d'elle, ou plutôt, de son serre-tête à nœud, celui qu'elle avait mis tellement de temps à choisir, s'exclamant qu'elle avait l'air de faire partie des cadeaux d'anniversaire. Malheureusement, les autres enfants se mirent à rigoler, et à se moquer à leur tour – vous savez comment les bambins peuvent être cruels – et le rouge monta aux joues de Delilah. Elle s'énerva et s'énerva, exigeant qu'il arrête de se moquer d'elle, mais plus elle s'énervait et plus il continuait. C'est alors que le couteau qui avait servi à couper le gâteau se mit à léviter, pour foncer tout droit sur le visage du garçon, et lui entailler la joue. On n'entendit plus une mouche voler dans la pièce, tout le monde regardant, bouche bée, la petite Delilah, toujours rouge de colère, qui s'était levée de sa chaise.
Ce qui se passa ensuite restait aujourd'hui très flou dans la tête de Delilah : plusieurs personnes aux accoutrements bizarres avaient débarqué de nulle part. Ils avaient fait des gestes alambiqués, criés des choses incompréhensibles, et fait un ramdam pas possible. A la fin de la journée, tout ce qu'elle savait c'était que plus personne à part elle ne se souvenait de ce qu'il s'était passé, et la joue de Dylan s'était miraculeusement refermée. Ce n'étaient pas les parents de Delilah qui étaient venus la chercher après cela, mais ces mêmes personnes étranges qui l'avaient ramenée chez elle. Une fois sur pas de la porte, ses parents avaient invité les étrangers dans le salon, et elle avait été envoyée dans sa chambre pendant que « les grands parlaient ». Elle n'avait jamais entendu la porte claquer pour signifier que ces personnes apparues de nulle part étaient reparties, mais elle savait qu'ils l'étaient, car au bout d'un moment, elle n'avait entendu plus que les voix de ses parents. Leur ton était étrange. Elle ne les avait jamais entendu parler de cette manière, et bien qu'elle ne puisse entendre ce qu'ils se disaient, elle savait que quelque chose de grave se passait. Mortifiée, ne sachant que faire, elle attendit de longues heures dans sa chambre. Quand enfin, sa porte s'ouvrit, et le visage de son père apparu dans l’entrebâillement de la porte :
« Viens, ta mère et moi devons te parler. »Son ton avait été si distant et différent de son habitude, que les lèvres de la petite fille s'étaient mises à trembler tandis qu'il lui tournait le dos pour redescendre dans le salon. Elle se leva, une irrésistible envie de pleurer lui tenaillant les entrailles. Elle descendit les marches lentement, espérant que celles-ci ne finiraient jamais, et qu'elle n'allait jamais avoir à affronter ses parents. Lorsqu'elle entra dans le salon, ils étaient tous deux assis sur un canapé, côte à côte. Leur visage était impassible, mais Delilah sentait une aura de peur se répandre autour d'eux. Elle s'installa dans un fauteuil face à eux, et, mains posées sur ses genoux, elle se mit à pleurer :
« Je suis désolée, je ne voulais pas faire ça, je ne l'ai pas fait exprès. »« Arrête de pleurer. » gronda son père.
« Nous avons des choses à te dire. » ajouta sa mère, des larmes dans la voix.
◈◈◈
Ce fut à l'âge de sept ans que les pouvoirs de Delilah se manifestèrent. Ce fut à l'âge de sept ans qu'elle apprit qu'elle était une sorcière, et donc qu'elle avait un problème. Une déviance, une maladie, un soucis, une anormalité, une affection... nommez-le comme vous le voulez, ses parents le lui ont bien expliqué : elle était différente. Elle était dangereuse. Sa première expérience de la magie le lui avait bien prouvé d'ailleurs. Elle fit des cauchemars sur cet événement pendant de longues années, revivant la scène dans ses rêves, la revisitant en des scènes de plus en plus sanglantes au fur et à mesure que ses parents se renseignaient et partageaient avec elle les informations récoltées. Catapultés dans un monde bien plus complexe qu'ils ne le pensaient, ses parents avaient voulu, dès leur connaissance du monde magique, en apprendre le plus possible sur ce dernier, car, comme ils le disaient "la connaissance, c'est la défense". Ils apprirent ainsi que les derniers terribles événements que les britanniques avaient vécu - catastrophes climatiques, accidents, attaques terroristes, meurtres de tueurs en séries, et bien d'autres - étaient en fait dus aux sorciers. Plus particulièrement à un mage en particulier, ce Voldemort qui avait tant fait trembler le monde, et ses partisans. Mais le fait était que la magie, utilisée à mauvais escient, était terrible et avait des conséquences des plus néfastes. Quand on remontait dans le temps, on apercevait d'ailleurs que de tels agissements avaient tendance à reproduire : tout comme les moldus, les sorciers répétaient sans cesse leurs erreurs du passé. Sauf que leur capacité à détruire était mille fois supérieure.
De l'âge de 7 à 11 ans, Delilah qui était autrefois une petite fille pleine de vie, de joie, et de malice, devint une enfant introvertie : de peur de faire du mal à ses camarades, elle n'osait plus se mêler à eux. Lorsqu'elle dû aller à Poudlard, elle en fut terrifiée. Étrangement, ses parents la poussèrent et la rassurèrent, tout en l'intimant à la prudence. Ils savaient que pour qu'elle soit en sécurité, et que ses proches le soient également, il lui fallait maîtriser ses pouvoirs. Voilà la raison qui les convainquirent de la nécessité absolue pour elle d'aller à l'école de magie. Ils la retiraient cependant le plus souvent possible, demandèrent même des dérogations pour certains weekend, et exigèrent une correspondance soutenue durant toute sa scolarité.
Refusant de pratiquer la magie au début de son cursus, ce fut finalement une enseignante qui, à force d'essayer de la faire parler, compris le pourquoi du comment. Elle lui expliqua donc combien il était important de maîtriser sa magie afin de la contrôler, et qu'elle ne pourrait la maîtriser qu'en la pratiquant, encore et encore. Ce fut grâce à ce professeur, qui s'était intéressée à elle, qu'elle arriva à suivre son cursus de manière normale, autant grâce à ses conseils qu'à son écoute, et surtout, sa tolérance. Elle avait compris que les parents de Delilah l'avaient convaincue qu'elle avait un problème, et après avoir essayé de la convaincre du contraire - ce qui avait braqué complètement Delilah, qui refusa de lui parler pendant plusieurs mois - elle avait finalement décidé d'utiliser de son influence d'adulte pour la rassurer, et tenter de lui montrer les bons côtés de la magie.
Au final, de manière assez étrange, Delilah finit par passer une scolarité agréable (bien que banale) : bien que se méfiant sans cesse des autres, elle s'était fait des amis, avait eu des joies, des disputes, des peines de cœur, des premières expériences...
Ce qu'elle ne savait pas en revanche, c'est que dès leur introduction dans le monde sorcier, ses parents s'étaient rapprochés d'autres moldus au courant pour la magie, essayant de se familiariser à cette société dévoilée tout en restant le plus loin possible des sorciers. C'est ainsi qu'ils rencontrèrent d'autres personnes qui, comme eux, étaient des anti-magie absolus. Et que peu à peu, ils furent intronisés dans le mouvement des Héritiers de Salem. C'est lors de la 7ème et dernière année de Delilah qu'elle apprit que ses parents en faisaient partie. Cela faisait déjà deux ans pour eux, et ils la mirent dans la confidence car elle aussi avait la chance de pouvoir, si ce n'était l'intégrer, prouver que sa famille était des leurs. On lui demanda alors de commencer à se faire des amis, le plus possible d'amis. Et de surtout, ne parler à personne de ses opinions et points de vue sur la magie - pas que ce dernier point fut difficile car c'était un sujet que Delilah avait toujours fui comme la peste avec ses camarades. Une fois ses ASPIC en poche et son diplôme de Poudlard acquis, elle continua ses études dans le domaine de la Justice magique. Quoi de plus logique pour elle que de s'assurer que toutes les déviances et tous les abus soient réprimés ? En tous cas c'était avec cette idée qu'elle intégra UMSL, où, tandis qu'auparavant elle n'était qu'une élève moyenne, elle excella dans toutes ses matières. Ce fut pendant ses années à l'université qu'elle dû prouver son appartenance aux Héritiers de Salem : en premier lieu, elle dû se lier d'amitié avec certaines personnes (qui allaient s'avérer plus tard être des connexions importantes pour intégrer l'Alliance), puis faire semblant d'avoir des idées pro-mixité. A partir de là, les tests augmentèrent en conséquences : pour prouver sa loyauté, on lui demanda de servir de messagère, puis de détruire des objets magiques sans se faire prendre, et enfin, alors qu'elle venait de se fiancer, de rompre toute relation avec celui qu'elle devait épouser. Elle effectua toutes ces choses avec plus ou moins de difficultés, mais elle les effectua tout de même. A l'âge de 22 ans, elle intégra donc officiellement les Héritiers de Salem. La tête remplie de leur propagande qui associe magie et destruction, magie et culture rétrograde, elle était la plus fervente de leurs membres, prête à tout pour empêcher le mélange entre les deux communautés.
A partir de ce moment, elle commença à infiltrer l'Alliance, devenant un agent double. Au sein du Département de Justice magique, elle était assistante au Magenmagot, tandis que dans sa vie privée, elle se préparait déjà à la vie post coup d’État.
Quelle ne fut pas sa joie lorsqu'elle apporta l'information essentielle au démantèlement et à la destruction du QG de l'Alliance. Et quel ne fut pas le sentiment d'euphorie qu'elle ressenti lorsqu'on lui annonça des avancées sur la thérapie génique.
Aujourd'hui, elle vit sa vie en tant que maillon essentiel dans l'application des nouveaux décrets ; et dans l'espoir que sa participation en tant que cobaye permettre de découvrir un jour un remède à sa situation : sorcière. Elle le sait, elle en persuadée, un jour elle retournera à sa vie normale, une vie de moldue, avec sa propre communauté à laquelle on l'a arrachée lorsqu'elle se vit infliger ce fléau qu'est la sorcellerie.