(3 août 2020) Atterrissant à l’aéroport de New-York, elle avait prévu de faire une escale de quelques jours avant de retourner chez ses grands-parents pour le reste de l’été. Elle attendait patiemment sa valise autour des tapis à bagages, en pianotant sur son portable. Une odeur bizarre la fit lever les yeux de son écran, mais elle n’eut pas le temps de se demander ce que cela signifiait qu’elle perdit conscience.

Marchant tranquillement le long du chemin, en rêvassant, elle griffonnait deux/trois croquis sur son carnet à dessins. Autour, les élèves profitaient du soleil, révisant parfois leurs cours pour les examens, jouant d’autres fois aux crickets … L’ambiance était propice à la création et à l’imagination. Elle décida donc de se poser sous un arbre pour dessiner toutes ses idées d’invention. Lorsqu’elle commençait, il lui arrivait d’oublier l’heure … Et c’est ce qui arriva. Son portable sonna pour lui indiquer que son cours de biomécanique allait commencer dans dix minutes. Elle allait être en retard. Elle rangea son carnet dans son sac et rejoignit le chemin en marchant à vive allure. Alors qu’elle s’apprêtait à courir, une main attrapa son poignet. « Mais où est-ce que tu vas comme ça ? » Elle se retourna vers celui qui venait de l’arrêter dans son élan. « Yasen ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? – Et toi, pourquoi tu cours comme ça ? – Je vais être en retard à mon cours de biomécanique ! – De bioméquoi ? » Elle le bouscula gentiment. « Ne te moque pas ! » Il lui sourit. Elle se souviendrait toujours de ce sourire. Il était heureux, elle aussi. Elle posa un baiser sur sa joue, et c’est à ce moment que la scène devint floue et s’effaça …

Son esprit était embrumé. Ses paupières étaient lourdes et ses membres tout autant. Les fourmillements envahissaient son corps et cette odeur de javel lui donnait la nausée. Où était-elle ? Que faisait-elle ? Ou plutôt, que lui faisait-on ? Même si tout en elle la rappelait au sommeil, elle se refusait à partir à nouveau dans les bras de Morphée, elle voulait comprendre. « Ces souvenirs … Tout est parfait, tout est rose, tout est merveilleux. A travers leurs souvenirs, tout à l’air idyllique, on a l’impression que rien ne se passe là-bas, et pourtant on sait qu’il se passe des choses … – Il faut creuser plus loin, essayer de leur faire boire ce filtre dérivé sur Veritaserum, il a déjà fait ses preuves pour ramener des souvenirs à des personnes amnésiques. – Mais ce filtre cause d’importants effets secondaires ! – Je sais, mais il faut absolument qu’on en sache plus. Certaines de ces personnes sont peut-être rentrées en contact avec des personnes importantes, elles savent peut-être des choses que nous ne savons pas, nous avons besoin de savoir pour que ce mal ne touche pas notre pays. – D’accord mais nous ne sommes pas des monstres, le directeur ne nous le permettrait jamais. Laissons le choix aux personnes qui le souhaitent de le prendre … Faisons appel au civisme de chacun … » Il dut y avoir un acquiescement car la conversation prit fin ainsi. Ou peut-être s’était-elle juste rendormie, parce qu’à son second réveil, elle se trouvait dans une chambre blanche fermée à clé et qu’un bracelet avec un numéro était accroché à son poignet.

(8 août 2020) « Pourquoi vous faites ça, déjà ? » Elle attrapa la petite fiole qu’on lui tendait. « Vous posez vraiment beaucoup de questions, mademoiselle Warren ! – Désolé … Vous savez la magie c’est un truc que j’ai toujours adoré. J’vais vous avouer un p’tit secret … J’étais un peu jalouse quand j’ai appris que mon frère avait des pouvoirs et pas moi. » Elle fit la moue et haussa les épaules. Cela faisait moins d’une semaine qu’elle était là, quelque part, à New-York, sûrement au siège du MACUSA – les archives familiales en parlaient – et déjà, sa curiosité et sa passion pour la magie avaient motivé toutes ses décisions. Lorsqu’il lui avait proposé de prendre leur mixture bizarre, qui devait l’aider à se souvenir de ce qu’elle avait vécu au Royaume-Uni, elle avait accepté sans même réfléchir. « Si ça peut aider, » avait-elle dit, dans un haussement d’épaule. Elle se sentait tellement à l’aise dans cet environnement qu’elle parlait plus qu’elle ne devrait. Deux jours après son arrivée, elle avait d’ailleurs tenté de négocier des avantages. « Pourriez-vous me rendre mon portable ? Je pense que ça pourrait m’aider à me souvenir … Et tout le monde sait que les technologies no-maj sont brouillées ici, alors je ne risquerai pas de répandre tous vos secrets ! … » Elle pensait qu’ils refuseraient, mais ses arguments avaient dû être suffisamment convaincants parce qu’en retournant à sa chambre – cellule – le soir même, l’appareil se trouvait sur son lit. « Bien, nous sommes prêts, vous pouvez boire la potion. » Elle obéit et posa le contenant vide à côté d’elle. Une femme se posta devant et pointa sa baguette dans sa direction. Legilimens.

« Tu es sûr que c’est une bonne idée ? Il parait que la dernière soirée ne s’est pas vraiment déroulée comme prévu … – Ne t’inquiète pas, je suis là. Je te protègerai … » Il plongea sa main dans la sienne et elle ne put réprimer un sourire. Ensemble ils entrèrent dans le bâtiment où la fête battait déjà son plein. Elle resserra ses doigts contre la main de Yasen et le laissa la guider à travers la foule. D’ordinaires, elle se serait élancée au cœur de la fête sans se soucier de ce qui pourrait se passer, mais la meilleure amie de sa colocataire avait été grièvement blessée lors du dernier événement organisé par les étudiants, et bien malgré elle, elle craignait que la même chose ne lui arrive. Elle accepta, malgré tout, les verres que lui proposaient ses amis, mais le cœur n’y était pas. « Tu veux rentrer ? » Elle regarda sa montre. Il était encore tôt. Ils n’étaient là que depuis une heure tout au plus. Mais oui, elle voulait rentrer ; un hochement de tête et ils étaient déjà dehors. « Je suis désolée. Tu peux rester si tu veux. Je peux rentrer toute seule … » Il attrapa à nouveau sa main et la ramena jusqu’à sa résidence. Alors qu’elle marchait en direction de sa chambre, le souvenir s’enveloppa d’une brume blanche et laissa place aux événements du lendemain.

Son téléphone sonna et l’écran d’accueil s’illumina, laissant paraître la une du journal universitaire : « La soirée de la St Patrick, théâtre d’un nouveau conflit. » Elle saisit immédiatement l’appareil et ouvrit l’article. La veille, durant la fête de la St Patrick, une bagarre avait éclaté entre deux groupes. On parlait d’un règlement de compte entre deux équipes de sport, mais des rumeurs parlaient plutôt d’un lynchage des sorciers par des extrémistes no-maj. Elle savait que Yasen était rentré en même temps qu’elle la veille, et que Cassian était resté à l’appartement, mais elle ne pouvait s’empêcher d’être inquiète pour eux. Elle attrapa ses affaires et fila donc directement chez eux pour s’assurer que tout allait bien. Alors qu’elle allait frapper à la porte de leur chambre, elle pressentait déjà que quelque chose n’allait pas. Regardant à droite et à gauche dans le couloir, elle remarqua un sachet de nourriture abandonné et non loin, un objet brillant. S’approchant lentement, elle reconnut le trousseau de clé de Yasen. Son cœur manqua un battement. Elle s’accroupit pour attraper l’objet et retourna vers sa chambre. Elle frappa avec vigueur. « Cassian, Yasen, ouvrez ! Ouvrez ! » Elle tambourina de toutes ses forces. Des portes autour d’elle s’ouvrirent pour lui demander de se calmer mais elle n’y arrivait pas. « Cassian, tu es là ? Je ne peux pas te perdre encore une fois ! » Alors qu’elle s’apprêtait à mettre la clé de Yasen dans la serrure, la porte s’ouvrit et le visage fatigué de Cassian apparut. Sans même lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle se jeta dans ses bras et le serra de toutes ses forces, les larmes menaçant déjà de couler. « Yasen n’est pas là ? … » Sa phrase résonnait plus comme un constat qu’une question. Elle s’éloigna un peu de son frère et regarda dans toute la pièce. « Je crois qu’il lui est arrivé quelque chose … » Elle se retint au mur pour ne pas défaillir. « J’ai trouvé ses clés et son porte-bonheur, à côté d’un sac de nourriture … Il n’aurait jamais abandonné ça comme ça … » Il avait disparu … Juste comme ça …

La sorcière relâcha la pression sur ses souvenirs. Alors qu’elle tentait de reprendre ses esprits, ses pensées semblaient vouloir rester embourbées dans une brume épaisse. Elle n’avait plus d’énergie, était vidée … Elle avait l’impression qu’une partie d’elle était manquante. « Qui est ce Yasen ? » La femme s’approcha d’elle. Yasen. Pourquoi ce prénom lui disait quelque chose ? Elle savait qu’elle le connaissait mais était incapable de pointer du doigt leur rencontre. Elle ne voyait pas de visage, ni de corps, elle ne connaissait ni le nom, ni l’âge. Devenait-elle folle ? Elle plaqua ses deux paumes contre son visage et grogna en agitant violemment de la tête. « Quelque chose ne va pas … Donnez-lui un sédatif et ramenez-la à sa chambre … Les expériences s’arrêtent là pour elle. On veut des réponses, pas la tuer … » Elle sentit une piqûre dans son épaule et sombra presque immédiatement. Elle eut juste le temps d’entendre la question qu’elle se posait depuis son arrivée ici. « Que va-t-on faire d’elle ? »

(9 août 2020) « Miss Warren, comment vous sentez-vous ? – Bien … Je crois … Votre question semble supposer que je devrais me sentir mal … Pourquoi ? » Elle ne se souvenait pas vraiment de ce qui s’était passé la veille. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle se sentait bien, reposée, et prête à poursuivre les expériences. « Prenez vos affaires, aujourd’hui, vous rentrez chez vous ! – Comment ça ? C’est fini ? » Une certaine déception résonnait dans sa voix. Elle attrapa ses quelques effets personnels et suivit le gardien en jetant un dernier regard dépité à sa chambre. « Où m’emmenez-vous ? » Elle se doutait qu’ils n’en resteraient pas là, qu’ils ne la laisseraient pas sortir ainsi, avec tout ce qu’elle savait sur ce qui se passait ici. Le mutisme du gardien la rendait fébrile. Mais dans sa tête s’organisait déjà toute une stratégie et des arguments. Elle n’était pas prête à partir, mais elle ne voulait pas non plus rester cobaye durant le reste de sa vie. Elle ferait en sorte qu’ils l’écoutent, qu’ils la laissent rester. « Entrez ! Asseyez-vous ! » Un homme lui désigna une chaise au milieu d’une énorme pièce ronde, au mur de pierres brutes. L’atmosphère était plutôt lugubre, mais elle ne se laissa pas gagner par la peur ; elle avait un argumentaire à livrer. « Tout d’abord, nous voulions vous remercier d’avoir participé à notre étude. – Je n’ai pas vraiment eu le choix vu que vous m’avez amenée de force ici … » Tais-toi Maeve. Ces remarques ne joueront vraiment pas en sa faveur. « Grâce à vous, nous avons réussi à obtenir des informations qui nous échappaient … Mais aujourd’hui vous allez devoir rentrer chez vous. » Cette fatalité ne l’atteignit même pas car son esprit récitait déjà le monologue qu’elle venait de préparer. « Miss Warren, vous nous écoutez ? » Elle acquiesça et profita de cette ouverture pour parler. « Si je peux me permettre, avant que vous ne me soumettiez à un n-ième sortilège d’amnésie … » Elle marqua volontairement une pause pour voir une expression choquée se figer sur leurs visages. « … Je souhaiterais vous soumettre une proposition … Je m’appelle Maeve Warren, et vous le savez sûrement, les Warren ont accueilli dans leur lignée, bon nombre de sorciers … Mon frère en est d’ailleurs un, et il vit au Royaume-Uni … La plupart de ses sorciers n’ont pas survécu à l’apparition de leur pouvoir, mais cette capacité fait partie de notre sang. Je pense que j’ai ma place ici … » Elle laissa quelques secondes passer avant de reprendre. « J’ai la conviction que vous perdriez à ne pas me garder à vos côtés. Je suis un atout … Comme vous l’avez peut-être découvert à travers mes souvenirs, le Royaume-Uni commence à investir beaucoup d’argent dans la technomagie … Et figurez-vous que la technologie je m’y connais … Je pourrai vous être très utile … » L’un des juges l’interrompit. « Et pourquoi aurions-nous besoin de ça ? Nous vivons très bien sans votre technologie. » Un petit sourire se dessina sur son visage. « Parce que leur pays est protégé par cette technomagie … Et lorsqu’on connait une science, on peut facilement la contourner … N’est-ce pas ce que vous voulez ? Savoir ce qu’ils font dans le pays ? » Ce raisonnement les laissa perplexe, mais ils semblaient sérieusement y réfléchir … « Oh et si vous aviez encore des doutes … Comme je vous le disais, je m’y connais en technologie … Et il semblerait que j’ai réussi à contourner vos brouillages magiques … J’ai enregistré quelque part des rapports journaliers sur ce qui se passe ici … Même si vous me soumettez à nouveau à un sortilège d’amnésie, je me souviendrai par d’autres moyens … Vous ne voudriez quand même pas que je révèle au monde entier que vous existez … Et puis, vous ne voulez pas non plus que ma famille, mes chers chasseurs de sorciers, vienne à vos trousses … Gardez-moi à vos côtés … Et vous serez tranquille …. Gardez-moi et vous pourrez garder un œil sur moi … Je n’ai pas de pouvoir, il sera simple pour vous de me maîtriser … Faites le bon choix. » Elle les fixa avec dédain. Elle avait beaucoup parlé, elle avait surtout beaucoup bluffé, mais qui ne tentait rien, n’avait rien … Dans le pire des cas, elle perdrait la mémoire, et puis tant pis … Dans le meilleur des cas, elle obtiendrait ce qu’elle voulait … « Ramenez-la à sa cellule ! » C'était une cellule maintenant ?

(24 novembre 2027) « Maeve, on t’attend au département des aurors ! – Yep j’arrive ! » Elle rangea sa dernière invention dans son armoire et attrapa son sac à main. Lorsqu’on la convoquait quelque part au sein du MACUSA, cela n’annonçait jamais rien de bon. Elle adorait fourrer son nez partout. Travailler avec des sorciers tous les jours était son rêve ; elle était comme une gamine qui découvrait le monde. Mais sa curiosité et son euphorie étaient souvent excessifs et l’amenaient à traîner à des endroits où elle ne devrait pas être. Durant ses premiers mois ici, elle se faisait réprimander au moins une fois par semaine. Mais petit à petit, elle avait mûri, et maintenant, elle ne se faisait convoquer plus que deux ou trois fois par an. Elle ne s’inquiétait plus vraiment de ces convocations impromptues et s’y rendait assez sereinement. « Excusez-moi ? – Miss Warren ! Vous voilà ! Venez donc ! » Elle suivit le directeur du département qui menait déjà un petit groupe de quatre personnes. Il les mena vers la salle des opérations et referma la porte derrière eux. « Je vais aller droit au but. Vous partez dès ce soir pour le Royaume-Uni. Rentrez chez vous, préparez vos affaires, un analyste du département vous sera assigné et vous enverra toutes les informations nécessaires avant votre départ. A partir de ce soir, vous serez livrés à vous-mêmes ! Vous savez quoi faire ! » Son regard se perdit autour d’elle. Ses quatre collègues semblaient savoir de quoi il parlait, mais elle, était complètement perdue … Elle était censée savoir quoi faire … Mais que doit-elle faire ?