La vie. Une douce mélancolie. La recherche d'un bonheur corrompu. Elle s'achève trop vite, glissant sur la roue du temps à une vitesse folle. Filant à une allure dingue à travers l'espace. Elle s'échappe, passant au travers des doigts écartés de Lyra qui tente de la rattraper. Cette existence qui lui est prêtée. Tout a été tracé, de sa façon de marcher à celle de s'exprimer. Un pantin particulièrement bien manipulé. La blondeur prise de la mère et l'esprit du père. Un homme pour qui tout est calculé. La réflexion avant l'action. Tout est bien pensé. Parfaitement maîtrisé. Puis, le souffle qui la fait vivre, l'esprit qui l'anime la fait chavirer. Le coeur est grand, la culpabilité présente. Elle aime son travail, celui de chercheuse, sauver et améliorer la vie des non-magiques, ceux qui n'ont pas de don et qui doivent se battre pour survivre et ne pas souffrir. Marchant dans les empreintes de son paternel, université prestigieuse, diplômée sous l'oeil avisé du cameraman de son père. Brian a élevé les Anderson comme il aurait aimé grandir. Baigné dans l'argent, sans manque, sans envie insatisfaite. Lyra a été éduqué pour qu'un claquement de doigt lui suffise afin d'obtenir l'objet de son désir tant qu'il était justifié aux yeux du paternel.

Jalousée par les plus jeunes de la famille, Lyra a toujours été la préférée au regard d'un homme qui aime les marionnettes qu'il peut diriger à sa guise. Mila, elle, était faite autrement. Indépendante et bornée, elle a ce quelque chose en plus que sa petite soeur a toujours rêvé d'avoir. Cette soif. Ce côté battant qui lui manque. Lyra se demande souvent comment sa soeur réagirait. Comment elle ferait.

Le compte rendu de l'hôpital entre les doigts. L'annonce de sa grossesse. Elle se questionne. Elle n'a personne vers qui se tourner. Une mère sur qui elle n'a jamais pu compter. Un père qui ne la regarde plus dans les yeux depuis une terrible erreur pour l'entreprise. Une grande soeur bien trop parfaite. Et des petits frères qui s'empresseraient de divulguer son secret. Elle a des amis. Quelques uns, mais jamais elle ne pourrait leur parler de ça. Ils ne comprendraient pas, ne sauraient pas se mettre à sa place. La famille Anderson est bien trop particulière pour pouvoir la comparer aux autres. Maintenant qu'elle fait partie de la direction de la Anderson Corp, elle ne peut pas laisser tomber. C'est le chemin qui était tracé pour elle depuis son enfance. C'est la seule chose qu'elle est capable de faire.

Et lui ? Doit-elle le prévenir ? Doit-elle lui demander son avis ? Elle soupire, trop de choses tourbillonnent dans son esprit d'enfant gâté qui vient d'apprendre à grandir. Elle jette le papier négligemment dans la poubelle, se rince le visage et se maquille. Elle fixe son reflet pendant de nombreuses secondes. Son secret ne sera pas décelé. S'il y a bien une chose pour laquelle elle est douée, c'est le déni. Cacher ses sentiments, le mensonge, ce sont des choses que l'on apprend à faire avant de savoir compter chez les Anderson. Elle passe sa main glacée dans ses cheveux, éteint la lumière, un dernier regard vers la poubelle avant de quitter la pièce.

Elle doit rejoindre la Anderson Corp, malgré son malaise de la veille, elle a prévenu tous ses collaborateurs qu'elle serait là aujourd'hui. Une chute de tension inexpliquée, probablement due à tous ces repas manqués ces derniers jours, voilà l'excuse parfaite qu'elle avait trouvée. Un bref regard vers son téléphone, aucun message. Son père doit pourtant être parfaitement au courant de ce qui lui est arrivé. Les larmes montent. Comment la situation a-t-elle pu se renverser à ce point ? Elle qui était la préférée. Celle en qui tous les espoirs pour l'entreprise étaient placés. Il la punit, comme une vulgaire enfant.

Une main se pose sur son ventre, sans réaliser totalement ce qui est en train de lui arriver. C'est peut-être ça, la réponse à sa solitude constante. Ne plus jamais être seule, avoir l'impression d'exister, de se sentir enfin utile. Puis, elle pense à sa mère, qui n'a jamais été présente pour elle. Pourquoi serait-elle plus douée ?

« La Anderson Corp s'il te plaît. » Jack, son chauffeur, lui fait un signe de tête. Il remarque très vite que la jeune femme n'a pas envie d'engager la conversation aujourd'hui, elle qui est plutôt loquace d'habitude. Elle lui adresse un léger sourire, il sait qu'il a de la chance de travailler pour les Anderson, avec tout ce qu'il se passe à Londres, il aurait très bien pu se retrouver sans travail du jour au lendemain, mais les Anderson sont de bons employeurs qui n'hésitent pas à verser une prime de temps à autre. Puis, il a de la veine, il est tombé sur la soeur la moins capricieuse. Au bout de quelques longues minutes, quelques mètres avant d'atteindre l'entreprise, Jack, lui jette un regard dans le rétroviseur. « Rien de trop grave ? » Elle sourit, on dirait bien que son chauffeur s'intéresse plus à elle que sa propre famille. « Non, ça va aller. Ça va toujours. » Elle sort de la voiture en lui adressant un dernier mot. « Bonne journée, Jack ! » Ses talons claquent sur le béton jusqu'à entrer dans le magnifique hall marbré. Elle redresse la tête, coince les dossiers sous son bras et salue ses employées sans sourire.